Les armoires normandes
Le mobilier qui constitue le décor intérieur des maisons normandes est assez varié et important, mais c’est l’armoire qui y occupe la place prépondérante. Cette importance est double car l’armoire a une valeur très sentimentale puisqu’elle est le plus souvent apportée par le jeune fille au moment du mariage, et qu’elle contient son trousseau. Elle n’était pas forcément placée dans la chambre des époux, mais occupait la meilleure place de la plus belle pièce, car elle représentait aussi un symbole du rang social de la jeune épousée.
La réglementation portant sur l’usage et la qualité du bois était autrefois très surveillée. Il était par exemple interdit d’utiliser du bois « vert », c’est-à-dire insuffisamment séché puisque la durée légale de séchage était de sept ans minimum, ou du bois d’aubier (la partie très tendre entre l’écorce et le cœur de l’arbre). Le chêne est le bois maître en Normandie. Le grain du chêne blanc est très proche de celui du châtaignier dont il prend l’apparence avec le temps. La qualité du chêne varie selon les régions et c’est en Seine Maritime qu’on trouvait les chênes de la plus belle qualité, largement veiné, donnant des panneaux à l’aspect moiré. Cette qualité était reconnue avant le règne de Charles V. Le bois est vendu encore vert et non scié, mais au moment de son emploi, il doit être parfaitement sec, et sans trace de vers. Les centres les plus importants du travail de l’armoire normande se situaient à Fécamp, Bolbec, Caen et Saint-Lô, mais les armoires les plus riches étaient celles fabriquées dans le Calvados, à Caen notamment. Les corporations sont très puissantes dans le domaine de la surveillance des règles de fabrication et les ouvriers sont nombreux et bien rétribués car les commandes sont en nombre important, aussi bien dans les villes que dans les campagnes.
L’armoire normande est constituée principalement de lignes droites. Ses divers éléments sont rassemblés sur un bâti constitué de quatre montants, réunis en haut et en bas par quatre traverses horizontales, encadrant des panneaux qui vont former les côtés et le fond. Les montants verticaux des armoires ne sont guère considérés comme ayant une grande importance et toute l’attention doit être accordée aux portes. Les dormants sont joliment sculptés, et généralement solidaires de la porte gauche. Les tiroirs sont peu volumineux et au nombre de trois au centre de l’armoire, le tiroir du milieu, plus petit, fermant à clé pour mettre en sûreté l’argent et les papiers de la famille. Au sommet de l’armoire, la corniche est simplement posée. L’ornementation est d’une importance rare. C’était en effet son abondance qui en déterminait (et en détermine encore) la valeur. Les ornements des artisans normands sont des plus caractéristiques par leur diversité de festons, frises, drapés, fleurs, rosaces, corbeilles garnies, médaillons, feuilles d’acanthe, etc. Les garnitures de cuivre ont-elles aussi leur importance. Les gonds sont le plus souvent au nombre de trois le long des vantaux et leurs extrémités se touchent presque. Les armoires constituent souvent le « gros morceau » de l’apport dotal. C’est le nombre des fleurs sculptées qui permet aux notaires de fixer le prix de l’armoire. Plus ou moins luxueuses, elles possèdent en commun une stature imposante en hauteur (généralement 2,30 mètres) et resteront, jusqu’au début du XXème siècle, le meuble qui permet à la famille normande de faire connaître son statut social puisqu’on peut être, comme le dit un vieux proverbe : « Pauvre comme une femme qui n’a pas d’armoire ».
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